Séparer le Vermont des États-Unis pour ensuite, si possible, l'associer
à un Québec indépendant et peut-être aux quatre provinces maritimes :
c'est le type de scénario sur lequel une centaine d'indépendantistes du
Vermont et de tenants de la démocratie directe se sont penchés en fin de
semaine à Middlebury. Ils souhaitent ainsi définir des « stratégies »
pour encourager les quelque 28 mouvements séparatistes existant partout
aux États-Unis - notamment en Alaska, à Hawaï et au New Hampshire - et
ainsi précipiter la dissolution de l'Empire ».
La réélection de George Bush les a aidé, semble-t-il. « Chaque fois
qu'il ouvre la bouche, de nouveaux membres rejoignent notre
mouvement ! » s'enthousiasme, à l'autre bout du fil, Thomas Naylor,
68 ans,président-fondateur du groupe indépendantiste Second Vermont
Republic (SVR), basé dans la petite ville de Charlotte. Le nom de SVR
fait référence à la première république du Vermont, qui fut indépendante
pendant 14 ans, de 1777 à 1791.
Blague?
Le tout a des allures d'une plaisanterie. M. Naylor, un professeur
d'économie à la retraite de l'université Duke, a-t-il trop mangé de
crème glacée vermontoise Ben & Jerry's ? Il avoue « injecter un peu
d'humour » dans sa façon de militer, « comme les altermondialistes »
avec leurs manifestations carnavalesques. Il faut savoir qu'à la blague,
on discute beaucoup de séparation dans les « blue states » - les États
démocrates - comme la Californie, depuis une semaine. Le magazine
internet « Slate » le soulignait vendredi dernier, en donnant l'exemple
du comté de Pasadena, où le sénateur démocrate Jack Scott, après la
victoire de George Bush, évoqua en public la « séparation ». Et obtint
une ovation.
Mais Thomas Naylor insiste : lui et sa centaine de membres sont
« extrêmement sérieux ». Il a publié un « Vermont Manifesto », a rédigé
une constitution du Vermont libre, dit s'inspirer des positions de Jane
Jacobs (grande économiste canadienne-anglaise qui s'est prononcée en
faveur de l'indépendance du Québec en arguant la vertu des petits pays).
Selon SVR, le gouvernement des États-Unis a perdu toute autorité morale
puisqu'il est « opéré, occupé et contrôlé par l'Amérique de la grande
entreprise ». La déclaration de Middlebury, adoptée au terme de la fin
de semaine, parle du gouvernement Bush, sur un ton jeffersonien, comme
étant « décadent et corrompu ».
En soi, ce pays, aux prises avec une crise « économique,
environnementale et militaire », est « trop gros et non durable,
ingouvernable en même temps qu'incurable ». Pour SVR, les États-Unis
sont devenus un empire qui s'est « répandu de façon excessive et risquée
dans 153 pays ». Bref, comme Naylor le dit calmement, « il faut quitter
le Titanic avant qu'il ne coule ». Il dresse ensuite une liste des
grands empires qui se sont effondrés.
Tant que le Vermont reste dans « l'Empire », « ses 608 000 citoyens sont
menacés dans leurs libertés, risquent des attaques terroristes et
peuvent être conscrits à tout moment par le gouvernement pour aller
faire la guerre ». M. Naylor a un fils de 17 ans et dit craindre que le
gouvernement Bush n'ordonne bientôt une conscription.
Small is beautiful
Par ailleurs, la conférence de Middlebury de la semaine dernière était
coorganisée par The Fourth World (FW), une organisation britannique
dédiée à la mise sur pied de modes de production et de types de
gouvernement à l'échelle humaine. Ce sont des tenants du « small is
beautiful », le fameux livre de 1973 de Fritz Schumacher. Le
représentant de FW aux États-Unis, l'essayiste Kirpatrick Sale de New
York ( qui collabore notamment à « The Nation »), veut fonder un « think
tank » qui développerait l'idée de séparation, non seulement du Vermont,
mais d'un maximum d'États composant les États-Unis. « Les participants à
la conférence ont adopté l'idée d'établir un "think tank" pour se
pencher sur les idées de souveraineté, d'indépendance, de sécession, et
créer des revues d'idées qui encourageraient les réflexions dans ces
domaines ».
Et les référendums ? Et les « conditions gagnantes » ? Et les étapes, et
l'étapisme ? Et les purs, les durs, les mous ? Et les saisons des
idées ? Et le nombre de dodos avant le grand soir ? Rien de tout cela...
pour l'instant du moins.. Thomas Naylor, qui dit ne pas être en mesure,
pour l'instant, d'évaluer le pourcentage d'appui à son option dans
l'opinion publique, a toutefois une idée de processus pour atteindre son
but :les sécessionnistes vont proposer prochainement au Parlement du
Vermont de tenir une convention comptant 150 membres qui sillonneraient
l'État et débattraient avec les citoyens d'un seul sujet : l'abrogation
de la résolution qui les a fait entrer dans l'Union en 1791. « Pour être
crédible, dit Naylor, un vote pour la sécession devrait être ratifié par
une majorité des deux tiers au moins. » Par la suite, le Vermont
demanderait un siège à l'ONU et entamerait des discussions pour se
rapprocher de ses voisins.
Mais est-il constitutionnel de se séparer des États-Unis ? Oui, prétend
Naylor. « La Constitution, en tous cas, n'interdit pas la chose. Bon, ce
n'est pas aussi clair qu'en Europe ou que chez vous, où la Cour suprême
a donné la procédure à suivre en 1998. Mais ce qu'on sait, c'est que,
selon le 10e amendement, tout ce qui n'est pas explicitement prohibé par
la Constitution est permis. » Il souligne que trois États - le Rhode
Island, l'État de New York et la Virginie - ont même des « clauses de
divorce » dans leur Constitution.
Le Vermont serait-il viable s'il se retrouvait seul ? « Bien sûr »,
répond Naylor, rappelant que la population de 50 des 200 pays souverains
sur la terre est plus petite que celle du Vermont. De plus, insiste
l'économiste, qui semble avoir suivi des cours de « péquisme »,
« l'indépendance politique n'est pas synonyme d'isolement économique.
Plus de 600 entreprises vermontoises exportent près de 24 % du PIB de
l'État. On ne voit aucune raison pour que cela cesse ».
Le Devoir